Hugo Kant : « Essayer de faire toujours mieux »

Hugo Kant : « Essayer de faire toujours mieux »

Avec ses inspirations cinématographiques et ses sonorités composites, I don’t want to be an emperor est parvenu à agiter le microcosme du trip-hop, révélant à tous la griffe de son concepteur, le talentueux Hugo Kant. Sous ce pseudonyme se cache en réalité Quentin Le Roux, un compositeur français, arrangeur et musicien multi-instrumentiste.

Vous ne le connaissez pas encore ?  La suite devrait vous éclairer.

Itinéraire et influences

Pourriez-vous retracer brièvement votre parcours musical ?
J’ai un parcours assez traditionnel. J’ai commencé par faire du piano classique et du solfège au conservatoire d’Avignon, dès l’enfance. Adolescent, j’y ai joué aussi, durant trois années, de la guitare classique, avant d’aller étudier le piano jazz à l’IMFP de Salon de Provence. Je me suis mis à jouer autre chose que du classique assez tôt, au collège, avec des amis musiciens, avec qui je partageais des goûts musicaux similaires. On a créé un groupe de jazz-rock et tourné pendant une dizaine d’années. Ensuite, tout en montant un studio d’enregistrement avec mon frère, j’ai intégré diverses formations, aux styles très différents : chanson, fanfare, salsa, electro latino, ciné-concert, etc., apportant par moments mes compétences d’arrangeur-compositeur selon les projets.

Vos morceaux s’inspirent beaucoup du cinéma. Faut-il y voir l’ombre d’un cinéphile ?
J’aime beaucoup regarder des films, mais je ne suis pas pour autant ce que l’on peut appeler un cinéphile. J’oublie trop vite le nom des réalisateurs ou des comédiens !  Par contre, c’est vrai que ma musique, essentiellement instrumentale, est souvent basée sur une atmosphère qui peut se prêter à l’image. D’ailleurs, l’incorporation d’extraits sonores issus de films est un moyen de souligner certaines ambiances…

Quelles sont vos principales influences artistiques ?
J’ai écouté beaucoup de styles musicaux différents. De la musique classique au jazz, du rock durant l’adolescence, avec des groupes comme les Beatles, The Doors, Magma, Gong, King Crimson, Jefferson Airplane, Jimmy Smith, Brian Auger…  Je jouais beaucoup d’orgue à l’époque, influencé par l’acid jazz, un mélange de jazz et de funk, avec pas mal d’improvisation. Au début des années 2000, un ami m’a fait découvrir des artistes tels qu’Amon Tobin ou Kruder & Dorfmeister, mais ce n’est que récemment que j’ai commencé à écouter plus de trip-hop ou de downtempo. Ce que je recherche surtout, au-delà du style musical à proprement parler, c’est le mélange entre les sons traditionnels des instruments et les moyens de production actuels.

Que vous évoquent les comparaisons – Wax Tailor ou Ninja Tune, par exemple – que l’on a pu dresser à votre égard ?
Je suis vraiment flatté par ces comparaisons !  J’aime la musique que fait Wax Tailor. Le label Ninja Tune aussi, avec Amon Tobin, Bonobo ou The Cinematic Orchestra, qui sont vraiment des références pour moi. Avant la sortie de l’album, je ne savais pas trop à quoi m’attendre au niveau des critiques : il y a un tel mélange de styles sur le disque…

I don’t want to be an emperor

En schématisant, comment présenteriez-vous votre méthode de travail ?
Je me laisse porter par l’inspiration du moment. J’enregistre un élément, que ce soit une basse, une guitare ou un instrument que j’ai à ma disposition, puis je construis le reste à partir de cette base, le son et le mixage étant des facteurs primordiaux dans le processus de composition. J’aime les sonorités qui font appel à l’imaginaire, qui campent tout de suite une ambiance.

Vous êtes un musicien multi-instrumentiste. Mais, entre le piano, la flûte, le synthétiseur ou encore la basse, où prenez-vous le plus de plaisir ?
Tous les instruments sont un plaisir !  Chacun a sa petite particularité qui le rend unique. Durant mon parcours, je suis toujours passé d’un instrument à l’autre, l’apprenant en autodidacte et prenant du plaisir à le maîtriser. Je dois dire que j’adore le rythme, donc la batterie et les percussions. Mais, n’étant pas un pur batteur, ce n’est pas l’instrument que je joue le plus.

Les échantillons vocaux sont légions sur votre disque. Les employez-vous pour leur propos ou comme un élément musical à part entière ?
C’est d’abord comme élément musical. Mais j’apprécie aussi faire passer par ce biais un message. Je cautionne tout à fait le propos de « Thou shalt not kill » ou encore le discours de Chaplin.

Charlie Chaplin sur un disque de trip-hop, c’est une démarche forcément intéressante. Reprendre le discours du Dictateur, et rendre hommage à un cinéaste de cette trempe, c’était quelque chose qui vous tenait à cœur ?
C’est l’un des morceaux les plus anciens de l’album. Je voulais absolument qu’il en fasse partie. À la base, ce n’était pas forcément délibéré, mais il se trouve que ce discours collait parfaitement à la version instrumentale que j’avais à l’époque. Le hasard fait souvent bien les choses !  Son propos humaniste et optimiste me correspond bien. Et l’évolution émotive et rythmique du discours amplifie celle de la musique.

Comment s’est déroulé le mixage de l’album ?
Le plus gros du mixage a été réalisé au fur et à mesure de la composition de l’album. Généralement, je compose et fais le mixage progressivement, quand les différentes parties se rajoutent les unes aux autres. J’aime avoir rapidement un bon rendu sonore ; ça m’aide dans le choix des arrangements. Quand tout a été fini, j’ai quand même passé un peu de temps au studio des Sirènes, à Marseille, pour finaliser le mixage, opérer quelques corrections en fonction des écoutes du studio.

Si vous ne deviez retenir qu’un unique morceau, ce serait…
Pas facile !  À mon avis, ce serait « This old tune ». C’est l’un des morceaux du disque qui marche le mieux et c’est vrai qu’une fois lancé, c’est dur de lâcher prise !

I don’t want to be an emperor a permis à de nombreuses personnes de (re)découvrir votre travail. Quelle suite imaginez-vous à votre carrière de musicien-compositeur ?
Continuer à travailler. C’est la première fois que je finalise un projet personnel et je compte bien ne pas m’arrêter là !  C’est un défi qui est toujours à renouveler : essayer de faire encore mieux, s’étonner soi-même et garder le plaisir de faire les choses.

Musique et industrie

On parle souvent, sur la scène électronique, de la french touch. Mythe ou réalité ?
Il y a certainement un peu de vrai. Bien que maintenant, avec Internet, on baigne dans une culture que l’on peut considérer comme mondiale, il subsiste toutefois des différences d’esthétique selon les endroits. Ce n’est pas vrai que pour la France. On pourrait également parler d’english touch, d’icelandic touch

Avec la révolution numérique et l’avènement du home studio, on peut désormais réaliser un disque de qualité irréprochable sans passer par les circuits professionnels classiques. Est-ce que cela a définitivement libéré les artistes des carcans de l’industrie ?
Oui, bien sûr. C’est vrai au niveau de l’enregistrement et de la production, mais aussi pour la diffusion. C’est la combinaison des deux qui engendre la mutation de l’industrie que nous voyons à l’heure actuelle. Le musicien est devenu maître de sa carrière ; il n’a plus à devoir plaire à quelques décideurs avant de soumettre son travail à l’appréciation du public. C’est un grand pas en avant. Cela permet aussi aux artistes de prendre plus de risques, de rester plus proches de leurs valeurs artistiques, tout en étant assurés d’une diffusion minimale, par les réseaux sociaux, les radios Internet, etc. La création, la diffusion, la communication ou encore la production restent des travaux à part entière, mais les outils sont désormais à la portée de tous. L’industrie se démocratise.

Avec des ventes en berne et un modèle économique déclinant, comment voyez-vous l’avenir du secteur du disque ?
Plutôt positivement. Les ventes sont en baisse, mais pas forcément pour tout le monde. Il y a plus de musique sur le marché aujourd’hui, plus de façons de la distribuer et de l’acquérir, donc, forcément, la répartition se fait différemment. Les gros labels n’ont plus le monopole de la distribution. Cela permet à plus d’artistes de tenter leur chance. C’est maintenant au public de décider. Les outils promotionnels, gratuits ou payants, sont à la disposition de tous. Et, au fur et à mesure, le monde d’Internet s’organise pour rémunérer les ayants droit…

Par Jonathan Fanara

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