Frank Ocean : un concert tout en sobriété

Frank Ocean : un concert tout en sobriété

Je me languissais de la venue de Frank Ocean en Europe depuis ma découverte de nostalgia, ULTRA. L’été dernier, le chanteur de Thinking About You avait déjà annulé sa tournée européenne, dont une date à Pukkelpop, ainsi que ses premières parties pour Coldplay. “Pour commencer, laissez-moi vous dire que j’ai l’impression d’un c*****d en ce moment mais j’ai dû prendre une dure décision en ce qui concerne mon emploi du temps des prochains mois”, s’était-il excusé sur sa page Facebook, précisant qu’il reviendrait si on le “voulait bien”. Bien sûr que je voulais ! Et il y a plusieurs semaines de ça maintenant, j’ai donc eu vent d’une première performance au Wireless à Londres, puis à Rock Werchter au plat pays. Mais pour être honnête avec vous (et parce que j’avais visionné sa prestation à Coachella en 2012), je n’étais pas vraiment convaincue par un Frank Ocean en mode festival. Alors quand il a annoncé un vrai concert sur Paris, j’ai sauté sur l’occasion, désespérée à l’idée de le voir un jour dans les mêmes circonstances en Belgique.

Vous l’aurez compris : j’étais on ne peut plus impatiente d’arriver au jour J, le 3 juillet au Zénith. On a heureusement eu droit à un petit set de DJ Jim mêlant sons old school et nouveautés qui aurait pu durer plus longtemps à mon goût puisqu’il aura fallu attendre une heure après son départ pour que Frank Ocean fasse enfin son entrée avec un tout nouveau titre qui serait intitulé California, dans un nuage de fumée qui ne faiblira que rarement pendant le concert.

Parce que je vous préviens tout de suite : Monsieur est très réservé. Non seulement il est resté relativement statique tout au long du concert mais il n’a pas spécialement échangé avec le public non plus. “Antipathie, excès d’ego ou manque de charisme”, ont immédiatement supposé ceux à qui j’ai raconté ma soirée. Certains me trouveront sans doute trop protectrice mais je mettrais sincèrement son comportement sur le compte de la timidité. Si j’aurais aimé qu’il prenne le temps de présenter ses trois inédits (dont le présumé Anything For You) ou de dévoiler les anecdotes derrière l’écriture de certaines de ses chansons, Frank se sera majoritairement contenté de remercier ses fans à maintes reprises. Il baissera à peine sa garde en osant quelques pas de danse, amusé, à la fin de Sweet Life ou encore avant Bad Religion, en expliquant qu’il a “traversé quelques épreuves ces derniers temps”. Laconique, il n’en paraissait pas moins heureux d’être là pour autant et finalement, à choisir, je préfère de loin 1h45 de bonne musique plutôt que la moitié d’un spectacle envolée dans des changements de tenue, des interludes vidéo interminables ou des ego trip où la star du jour savoure son succès en laissant l’assemblée s’égosiller pendant 5 grosses minutes (celle-là est pour toi, Justin Bieber – oui, j’étais là aussi, ne me jugez pas).

Ainsi Frank a préféré mettre la teneur de ses textes en avant, se cachant derrière le produit de machines fumigènes sans aucun projecteur braqué sur lui. Alors que ses musiciens (guitare, basse, batterie, cuivres et claviers) sont en costard, il est en treillis et t-shirt ornés de nuages imitant presque un motif militaire ; le camouflage à son comble. Une sobriété qui se ressent également à travers le décor épuré, pourtant inspiré de la célèbre et impressionnante tournée The Wall des Pink Floyd. À l’instar du groupe mythique dont les visuels ont aussi servi à la conception de son premier album channel ORANGE, le Californien de 25 ans avait opté pour un grand mur à projection occupant toute la scène sur lequel était diffusé la plupart du temps une vieille BMW allant on ne sait où, puis des palmiers en feu. Je vous avais déjà raconté qu’il avait dit écrire ses morceaux “comme l’on prendrait une photo de choses invisibles”. Et il l’a prouvé une fois de plus en privilégiant un jeu de lumières basés sur les couleurs. C’est peut-être mon cours d’Art ou le blog de la Color Designer Timai qui m’est monté à la tête mais, si au début, je trouvais ça presque ennuyant parce que cela m’empêchait d’admirer les expressions de Frank, je me suis aperçue petit à petit que chaque nuance en disait finalement tout autant sur ses états d’âme puisqu’elles correspondaient toutes à une ambiance bien particulière, illustrée par une série de titres spécifiques. Avec, entre autres, un violet sensuel pour Songs For Women, un blanc criant de vérité pour Super Rich Kids, un rouge ardent et brûlant pour Bad Religion, un incontournable rose pour Pink Matter, beaucoup de bleu chargé d’espoir mais aussi quelques touches d’un jaune orangé et ensoleillé pour les très californiens Sweet Life et Golden Girl.

Je garde évidemment le meilleur pour la fin : sa voix. Autant vous dire que les artistes à falsetto, je les attends toujours au tournant en live. Mais celui de Frank Ocean était à tomber par terre et sans fausses notes, tandis que ses vibes étaient amenées avec subtilité. Seul bémol pour moi : l’absence de choristes qui enlevait parfois un peu de relief à certains numéros. Mais le public a volontiers donné de sa personne, provoquant notamment un énorme sourire de l’auteur-compositeur (et le mien avec) en s’occupant des réponses sur l’outro de Lost sans même qu’il n’ait eu à tendre son micro. Un moment tout aussi magique : le (très !) long Pyramids interprété en intégralité pour le plus grand bonheur de la foule qui semblait transportée. Je regrette aussi la présence d’enceintes de retour uniquement sur un côté de la scène, le contraignant à délaisser les spectateurs à sa gauche (et moi avec, d’où ma tristesse infinie). Enfin, Swim Good et We All Try manquaient cruellement à la setlist cependant déjà bien remplie avec une vingtaine de titres dont la totalité de channel ORANGE (à l’exception des interludes), Acura Intergurl (extrait de la bonne “vieille” Lonny Breaux Collection), des exclusivités et un somptueux final avec le sublime Wiseman (écrit mais non retenu pour la bande originale de Django Unchained). Dès lors, je pense que je ne peux pas vraiment faire ma difficile.

Sauf que. Je persiste et signe : Frank Ocean est selon moi destiné à des salles plus intimistes qui se prêteraient bien mieux à ses contes musicaux. “Tous ces voyages ne servent pas à la promotion d’un album ou quoi que ce soit de ce genre. Ça n’a jamais été le cas et ça ne le sera jamais, écrit-il aujourd’hui sur son Tumblr depuis la Belgique, en prévision de son passage à Rock Werchter prévu ce samedi 6 juillet. Aucune maison de disques ou société d’organisation de concerts n’est impliquée financièrement. Tous les sous proviennent de ma poche. Afin de soutenir mes étranges rêveries. De photographier les foules et les nuages depuis les avions. De faire contraster tout ce silence avec un peu de bruit. Du nouveau bruit, et du vieux bruit… Foule sobre, effacée. Tout le monde est le bienvenu.” Vous voyez ce que je veux dire ? La tournée You’re Not Dead… 2013, comme tout ce que Frank Ocean fait, vient du cœur. C’est simple, authentique et plein d’aspirations, à l’image de ce ciel bleu et de cette citation d’une oeuvre de l’artiste Jenny Holzer sur lesquels il nous a quittés.

Frank Ocean x Jenny Holzer

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